11/03/2012

En souvenir d'Abdessalem Trimech, martyr de la dictature Ben Ali ...

Lui n’était pas marchand de fruits à la sauvette, lui n’était pas diplômé. Installé était –il.  Son échoppe, en fer, couleur bleu- vif  trônait, face à un rond-point, entouré de trois palmiers et d’un cèdre, s’élançant, magnifiques à la conquête du ciel  - de la vie sans doute. Ce lieu relie le quartier du R 6, l’accès à l’Hôpital, la rue menant à la Faculté de Médecine  et au centre  ville, la petite boutique, dans sa visibilité extrême, accompagnant les exigences et gouts des passants et passantes : fricassées, sandwiches, briks fort appréciées, parait-il. Lui aussi  avait du se contenter un temps durant d’une brouette ou étaient entassés kakis et autres friandises  destinés  aux écoliers et écolières. Les enfants savaient  qu’il serait présent. Ils s’empressaient autour de lui, lui toujours attentif et  d’humeur gaie.
Ils l’aimaient, il faisait partie de leur quotidien. Lui s’appelait  Abdessalem  Trimèche ……ou plutôt « Javel » affectueux surnom attribué par les femmes auxquelles il fournissait paquets de lessive, produits d’entretien de maison.  Lui était   marié, père de 2 fillettes. Il avait  31 ans.
Mars 2010 : un jour , le 3 Mars précisément, excédé  par le harcèlement des agents administratifs, lassé des atermoiements quant à ses multiples demandes de permis d’installation- un jour acceptée, le lendemain refusée, il s’adressa directement, un bidon d’essence à la main, à l’autorité  locale représentante des citoyens, élue à leur service : le Maire.NON fut la réponse. Homme à nouveau nié dans ses droits, il s’empara de son bidon d’essence –objet de requête devenu sans objet. Si , il lui restituerait sa dignité, il le libèrerait  du mépris dans un geste ultime : son corps  en flammes jeté au visage de l’arrogance, des faveurs  distribuées à ceux et celles qui disaient oui  contre argent ou mouchardage, corps tout entier offert à ceux  ou celles  qui , comme lui Abdessalem revendiquaient un droit  légitime transformé  en pratique arbitraire RCDiste .
A l’instant même se répandit dans la Ville  la nouvelle de cet acte d’immolation, les femmes au  cœur de cette transmission, qui par portable, qui par  visite à une  parente à  une voisine. Transporté à l’Hôpital pour grands brulés de Ben Arous fut-il.
A l’instant même, les forces de police quadrillèrent  la ville : cars remplis de policiers stationnés  le long du  cimetière, voitures banalisées circulant  dans les artères principales, les rues, policiers en civil  patrouillant dans les moindres ruelles et recoins, à La Marina….. En ce mois de Mars 2010, il faisait  froid, il faisait  triste, il faisait gris à Monastir. Ville sous contrôle selon les autorités.
Soudain, de cette quiétude meurtrie, le 11 Mars, par un après-midi  vers 16  h, une immense clameur jaillit : une marée de jeunes  d’hommes, de femmes, tous mêlés, débouche de la rue Med Moalha puis de l’avenue Bourguiba portant en martyr  le corps d’Abdessalem. La foule, rejointe  par une multitude d’employés, commerçants contourne le rond-point ou est érigée la statue du président défunt  écolier. Dérision ou confusion : des jeunes  arrachent une banderole accrochée  là : y étaient inscrits  ceci : « Commissariat au Tourisme ». Le cortège  s’immobilise devant  le  siège  du Gouvernorat :  « Yahia Abdesssalem,  yahia Bourguiba », slogans  scandés à perte  de voix  puis le chant patriotique d’Abou  Kacem  El Chebbi  s’envole , résonne  et  rebondit du cœur et de l’âme de tous et toutes  comme à l’assaut du gouvernorat : hommage  au  martyr, appel  déjà  à un  changement  . Certains tentent de s’introduire à l’intérieur du bâtiment où se terre le pouvoir, d’autres arrachent les plantes et les fleurs  du jardin  l’entourant…vite repoussés par un cordon de police. Tout à coup, sous les slogans, sous les cris de révolte un bruit de bottes : arrive en courant le long des remparts vers le  siège du gouvernorat  un  régiment  armé de BOP.
Il ne chargera pas :
-          Peut-être  en raison  de  la présence  de touristes par hasard  témoins d’un évènement  qui , rapporté , détruirait l’image  d’une Tunisie  vendue , placardée  en Europe  comme « pays du Jasmin », du bonheur chaque jour renouvelé , de la  sécurité  assurée.
-          -Peut-être  par  peur   de briser un tabou : matraque-mitraillette/ funérailles- fati’ha : le sacré  désacralisé par le profane.
-          Surement grâce  au nombre et à la détermination  des manifestants/es et par crainte qu’une répression  massive  ne propage l’acte  d’immolation d’Abdessalem  à travers  le Sahel  et bien  au- delà  et n’entraine déjà un vaste  mouvement de contestation incontrôlable. Intense  est  l’émotion. Larmes souvent refoulées , le  cortège  funèbre , fier , compact, uni  se  remet  en marche et se dirige  vers le  cimetière , slogans scandés à la  mémoire d’Abdessalem  et contre le  pouvoir  encore  et encore. Sur l’esplanade du cimetière attendent et accourent  d’autres citoyens  et citoyennes  venus  s’incliner  devant  le martyr soutenir la famille et réciter la  feti’ha.
Ultime hommage à leur ami, à leur frère : la nuit durant les gens défileront devant sa tombe, le veilleront, femmes assises avec enfants sur les kiosques de l’esplanade, puis le lendemain, les jours suivants sous les regards inopérants des membres de la sûreté maintenus sur place pour créer un climat de tension de terreur.
A la mère d’Abdessalem, lors de la remise  du corps scarifié  de son fils , il fut dit  qu’il était « déséquilibré » ,  celle-ci rétorqua que « c’était bien étrange  car  nul  médecin  n’avait  décelé un quelconque  symptôme  de maladie  mentale chez son fils »….. Femme  courageuse  rejetant dans l’ignoble  et la moquerie  les  bourreaux d’Abdessalem…..Femme annonciatrice  de tous  les  refus  à venir  de la propagande  bénaliste   sur les  jours  et nuits  sanglants  de Théla , Kasserine , Sidi  Bouzid en Décembre 2010. A son père  et son frère, la présidence  choisit les menaces de mort en guise de condoléances  s’ils s’avisaient  de s’exprimer. Et en effet, rares, brèves , seront les informations sur cette tragédie (1). Le régime  peut respirer : le maire, le gouverneur aussi en relais exemplaires  d’une  occultation fabriquée.
Si , en , Janvier 2011, vous  étiez à Monastir, vous avez pu  repérer  une échoppe  en  fer : fenêtre fermée,  porte  close, elle est  restée là ,  tache  bleue  sur  fond  de manifestations ou  furent  scandés  dans un même élan d’espoir et de révolte  les noms  d’Abdessalem et  de Bouazizi par les révolutionnaires  passant devant pour rallier le centre ville  et le siège du pouvoir déchu.  La petite  échoppe  disparaitra  bientôt  emportée par le souffle  de la Révolution   pour  faire place à une  boutique  en dur : permis d’installation enfin accordé le 28 Janvier ….. Permis  pour  un avenir décent et  digne pour  la jeune  femme  d’Abdessalem  et ses deux fillettes.
Abdessalem Trimèche,  Mohamed Bouazizi, martyrs des diverses régions de votre pays, la Tunisie,   vous avez brisé  le carcan de la sujétion. Par votre acte d’insoumission- votre immolation- geste de sublimation et de sacrifice, vous avez inauguré un rapport du corps au pouvoir : corps discourant- fût-ce même en silence et en souffrance, corps subversif porteur d’affirmation de soi, fondateur d’une parole libre infinie, et d’avantage d’un impensé : la Révolution émancipatrice de tout un peuple, le vôtre, puis d’un autre en Egypte et peut-être d’un autre en Libye et encore et encore.
Vous avez réinscrit l’individu, homme, femme au centre de la construction de son devenir au cœur même de son histoire de l’Histoire collective et universelle, votre identité nommée, scandée chaque jour par des milliers de manifestants et de manifestantes anonymes à travers le monde.
 Danièle Stambouli. habitante de Monastir et témoin Docteure en littérature comparée

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